Tabigarasu 旅がらす

Écrire pour l’existence, sous la lueur brune d’un soir, funeste pour vous, pleine de promesses pour nous, suscitant l’admiration et l’incompréhension.

Votre sacrifice, pour éveiller les consciences, est salutaire.

Comme moi, qui fus autrefois endormi, à me complaire dans mon aveuglement, Je ne voulais plus voir ce que j’étais en train de devenir, tant cela m’aurait dévasté ; l’évanescence de mon humanité, la déliquescence de mon âme.

Et l’imperceptible enténèbrement en croyant incarner encore l’honorable, trouvant mon salut dans une habile fabulation.

Mais il suffit de l’écho d’une voix empreinte de liberté ; celle qu’on choisit d’écouter plutôt que d’entendre, parmi d’innombrables voix, pour nous extirper de notre torpeur.

Elle n’arrive jamais comme on le souhaiterait, parce qu’elle nous accable de nos propres failles. Mais c’est elle, l’éveil de l’autre, qui nous aide à briser ce très long sommeil, conjurant le néant qui s’insinue dans nos cœurs, et nous émancipant, pour mieux nous tendre vers l’autre.

En quoi cela servira-t-il à l’humanité de naviguer en mer, pour se condamner soi-même ?

Pour se dire qu’il n’est jamais trop tard afin de recouvrer la raison, et, sous l’égide de la vie, empêcher, unis, que l’on puisse s’emparer des rêves d’un peuple dont la véritable offense est d’exister.

L’âme des défunts trouvera, peut-être… le repos, à travers ce combat fatidique, qui semble vain pour les plus cyniques, mais qui s’inscrit dans l’héritage d’une résistance de plus ; dont seul le nom sera retrouvé à travers l’Histoire, lorsque nous ne serons plus de ce monde.

Mais qui aura fait sa part ?

Avant-hier, je découvrais par le plus grand des hasards la seconde partie du documentaire historique (1969) : « Le Chagrin et la Pitié : Le Choix » de Marcel Ophüls (En hommage à lui suite à son récent décès en Mai).

J’ai été stupéfait par la qualité des archives saisissantes, les témoignages parfois glaçants de collaborateurs assumés, d’autres de repentis, de résistants, de juifs qui ont survécu, des allemands, des anglais…

« Moi, je suis un petit bourgeois, j’allais au lycée Pasteur, mais enfin, la question juive n’existait pas, nous n’étions pas des religieux, et quand j’ai appris que j’étais juif, par les autres, j’ai d’abord été extrêmement triste de me sentir rejeté de ma communauté nationale et de ce pays que j’aimais. Non pas parce que j’y étais né, mais parce que j’ai appris à l’aimer à travers son histoire, que je trouvais belle. Et j’ai commencé à m’intéresser aux juifs.

Et je crois que vouloir discuter sur les chiffres, c’est faire des comptes difficiles dans un domaine où c’est inadmissible. Le fait qu’un gouvernement français ait accepté de livrer des nationaux français, et même des ressortissants qu’il avait à protéger, reniant le droit d’asile traditionnel de la France, prouve que ce n’était pas un gouvernement digne de porter l’étiquette française, ni ce que nous aimons dans cette patrie.

La France a collaboré, c’est le seul pays d’Europe qui ait eu un gouvernement qui ait collaboré. D’autres ont signé des armistices ou capitulé en rase campagne. C’est le seul pays d’Europe qui ait collaboré, qui ait instauré des lois, qui, sur le plan raciste, est allé plus loin que les lois de Nuremberg, puisque les critères racistes français étaient encore plus exigeants que les critères racistes allemands.

Et ce n’est donc pas une très belle page. Alors, il est peut-être normal que dans les manuels scolaires, on nous présente que la page glorieuse, mais du point de vue historique, c’est certainement faux.

J’ai été arrêté parce que j’étais FTP à 17 ans (Francs-tireurs et partisans).

[…]

Je suis resté un an donc dans une prison française. J’ai vu fusiller dans la cour de prison sept de mes camarades de mon groupe, d’ailleurs, par des pelotons de gendarmes français. Et j’ai été livré aux SS avec tous mes compagnons de prison, le 2 juillet 1944, par l’administration pénitentiaire française, qui est la seule en Europe à avoir fait ce geste ignoble de livrer, pieds et poings liés, tous les détenus des prisons.

J’ai été déporté dans un train qu’on appelait le train de la mort, parce qu’il est resté deux mois sur les voies, attaqué et mitraillé par l’aviation anglaise, qui ne savait pas que c’étaient des déportés. J’ai pu m’en évader le 25 août 1944, et il est arrivé à Dachau le 27 août. Et c’est à ce moment-là que j’ai appris que mes parents, que je recherchais depuis quatre ans, avaient été déportés.

La France était couverte de camps de concentration : Gurs, Argelès, Rivesaltes, Fort-Barraux, Drancy… Il n’y avait d’ailleurs pas que des juifs. Il y avait des républicains espagnols, des francs-maçons, des gitans… Et tout ce monde était livré, par petits paquets, aux Allemands, au fur et à mesure des convois et des demandes. »

Claude Lévy

À la fin il s’exprime par rapport à la rafle du Vel d’Hiv, alors que le gouvernement français avait l’éloge des Allemands tant leur collaboration était minutieuse et anticipatoire , on apprend que les Allemands n’avaient pas prévu de déporter les enfants de moins de 16 ans, 4051 enfants… Mais Laval avait insisté pour que les enfants soient déportés, même après les multiples sollicitations, dont celle du pasteur Boegner qui a plaidé la cause des enfants.

Je vais maintenant faire une analogie avec le présent. Ce lundi 2 Juin, alors que je revenais du boulot à Nantes, j’allais retourner là où je loge, puis le bus s’est arrêté au milieu d’une manifestation, d’une chaîne humaine pacifique et solidaire. J’ai très vite compris que c’était en hommage au peuple palestinien, un soutien à notre petite échelle.

Alors sans réfléchir, je suis descendu du bus pour m’intégrer à la chaîne et défiler à Nantes pour la première fois. C’était une ambiance similaire à celle de Zürich, et ça s’est terminé par la lecture d’un magnifique poème, si bien lu, du poète Ziad Medoukh.

Je retenais mes larmes, celui qui a lu ce poème disait que la poésie, c’est résister.

Et voilà pourquoi j’écris aujourd’hui, pour faire écho à leur désarroi, pour leur dire que mon coeur est avec eux, même de loin.

Si nous nous enferrons dans le silence, demain, le sort des palestiniens, ce sera celui des arabes musulmans ou non, français ou non, en Europe. Comme le disait avec éloquence Annie Ernaux dans l’émission la Grande Librairie :

« L’imaginaire raciste à l’égard des Arabes qui est au coeur de l’acceptation du martyr de Gaza »

Le sort tragique des juifs lors des années les plus sombres de l’histoire humaine est intimement lié à celui des arabes aujourd’hui. Ce documentaire fait écho au paroxysme à l’horreur, qui a pu se construire et produire après des années de propagandes contre les juifs, prétendument coupables de tous les maux de la société, selon des chimères produites par ceux qui incarnent parfaitement la discorde.

« Mains croisées sur les genoux, Daoud veut dire « quelques mots sur Aboubakar, une personne appréciée de tout le monde ». Larmes aux yeux, il évoque « son grand cœur et sa gentillesse », et le décrit comme un homme « pauvre mais riche dans le cœur ». Selon les témoignages de plusieurs fidèles de la mosquée, Aboubakar Cissé était sans domicile fixe et vouait sa vie à la religion et au lieu de culte, dans lequel il passait beaucoup de temps. « Pour moi, c’est un ambassadeur de l’islam. Tout musulman voudrait lui ressembler », décrit Hamza.

[…]

Louant une personne discrète, Daoud lance :« Ça peut paraître étonnant, mais c’est justement sa discrétion qui a fait de lui un homme connu. » » Article Mediapart

Quand j’étais enfant et que mon père nous emmenait à la mosquée certains vendredis (il nous laissait toujours le choix d’y aller), je croisais parfois des personnes pieuses et douces, comme Aboubakar. En France, comme en Égypte, ils avaient cette aura que l’on retrouve dans l’image que j’ai de certains moines bouddhistes, un peu ermites, dont l’ascèse leur confère une présence indescriptible.

Même apostat, une part de moi a le cœur brisé par la violence de son assassinat et par le silence assourdissant, la minimisation perpétuelle du crime lorsqu’il accable un Arabe, un Noir, un Asiatique, et plus encore s’il est musulman.

Je me souviens encore qu’un homme m’avait menacé de mort l’année dernière en proférant des insultes racistes, simplement parce que mon faciès ne lui plaisait guère : « Si je te croise dans la rue, je te tue ». À partir de ce moment-là, à chaque fois qu’on vous menace, même sans le caractère raciste, on le soupçonne.

« Pourquoi a-t-il été aussi cruel avec moi ? Pourquoi autant de véhémence ? »

Ou bien lorsqu’une personne que vous appréciiez vous répond, impassible, après que vous lui avez demandé calmement : « Mais où iront les Palestiniens si on les chasse de leur terre ? », tant cela lui semblait normal qu’on ruine, avec minutie mais sauvagerie, une bande de terre habitée par des gens :

« Ils iront dans d’autres pays. De toute manière, il y a déjà trop de pays arabes comme ça. »

Trop d’Arabes, trop de musulmans… Est-ce le corollaire de ce qui advient aujourd’hui ? Après tout pourquoi ne pas effacer notre existence pour mieux la nier ?

Cet aveuglement noir et ce mutisme complice accablent tous les peuples musulmans du monde entier avec une gravité inédite, des Rohingyas aux Ouïghours, des Syriens, Iraquiens, Libanais, Afghans, Palestiniens, Yéménites, Soudanais…

Cette entreprise funeste risque bien de nous emporter, en Europe, si cela persiste. Cette nouvelle vague brune engloutira inexorablement tout ce qu’on associera aux « musulmans ».

La haine se propage et déferle dans les journaux, les médias, les institutions et la sphère politique, gangrénant l’esprit de ceux qui n’avaient jusque-là pas d’avis, et qui s’en sont forgé un en s’abreuvant de CNews, de Twitter ou d’Instagram, plutôt qu’en se cultivant, plutôt qu’en parlant aux personnes concernées.

Après avoir visité l’exposition Banlieues chéries au Musée de l’Histoire de l’Immigration, dans la dernière salle, chacun pouvait écrire un mot :

« Dans ma banlieue rêvée, je peux… » Des centaines de messages s’étalaient sur les murs, tous très bien écrits ; empreints d’espoir et de paix, d’inquiétude, de peur, d’engagement, de désir de liberté, et de ne plus être haï, ni interdit…

Les témoignages étaient édifiants et bouleversants. Ils me rappelaient ce que je lis parfois dans les cahiers d’intentions à l’église, ou les vœux que les Japonais inscrivent sur des plaques (絵馬 Ema) dans les sanctuaires shintō.

Quand je suis tombé sur un vieil article de journal intitulé Convergence 1984, je l’ai lu attentivement. C’est, à mes yeux, l’une des pièces maîtresses de l’exposition, car on y lit aujourd’hui ce qu’un autre écrivait déjà en 1984. Cet article montre que nous sommes enfermés dans une spirale funeste :

« Cette initiative est née parce que nous sommes fatigués de constater toujours la même chose. Cette constatation peut être résumée en un seul mot : LE REPLI. Malgré les efforts de beaucoup, malgré les tentatives d’ouverture, le repli domine toujours ce pays. »

Je déplore à quel point toute une population, dont j’ai fait partie, une génération pourtant plus cultivée et mieux armée intellectuellement que la précédente, est encore reléguée au néant, réduite à ce qu’elle n’est pas, à ce qu’elle n’incarne pas.

Toutes ces personnes, dans une conscience collective grandissante, sont vues comme les parasites de notre société, les profiteurs, les fauteurs d’insécurité, les artisans de la dérive économique et de la prétendue perte de l’identité française…

C’est ce même principe délétère qui, dans d’autres contextes, a mené à la Shoah ou à la Nakba. La haine viscéral d’une chimère.

Cela demande du temps et de l’effort de se forger un point de vue solide et philosophique, ce qui est incompatible avec l’instantanéité qu’impliquent les réseaux sociaux, qui n’ont pas vocation à nous inciter à la réflexion, mais à exalter notre irrationalité à des fins propagandistes.

Finalement, on ne se rend jamais compte que l’on est endoctriné, que l’on succombe au mal, même le plus absolu, puisque la manifestation mortifère de celui-ci a toujours, à nos yeux, une raison d’être, une justification.

C’est une emprise irrésistible, puisqu’on veut toujours croire que l’on a le contrôle sur son destin, dans ce royaume intérieur façonné par un individualisme porté à son paroxysme.

Hélas, ce n’est qu’une illusion : à la fin, nous sommes les esclaves de ceux qui nous manipulent. Et si nous prenons pas garde, nous perpétuons ou nous consentons aux horreurs que nous nous évertuions de combattre jadis.

À chaque époque, un vent émancipateur souffla et se répandit à travers le monde, l’éveil de la conscience, aux âge anciens jusqu’à notre ère, qui transcenda le déterminisme dans lequel le pouvoir d’un seul, voulait les réduire.

Dans la fournaise de la géhenne, les oiseaux qu’on accable de tous les maux n’obtiendront point le salut. Ils subiront une affliction particulièrement cruelle, pour seul crime d’exister, et dont le chant printanier constitue une offense pour leurs détracteurs.

Ô, puissent les astres ne jamais les abandonner au désarroi, que le soleil levant leur donne l’espoir de perdurer dans l’éclosion d’un nouveau printemps.

J’entends l’écho de l’oiseau solaire, au plumage irisé, dont le chant est source de mythes. Il retrouvera son arbre de prédilection, dans la forêt ancestrale qui aura vu naître ses congénères.

Mon oiseau de dilection, vole libre, puis reviens vers tes contrées sylvestres. Tu y seras toujours aimé, éternellement chéri, même quand tu ne seras plus de ce monde, ta mémoire restera gravée dans le cœur de ceux que tu as émerveillés par la mélodie de ton existence.

Au milieu des terres brûlées, les oiseaux ne chantent plus. Ils disparaissent dans les braises, emportant avec eux ceux qui, chaque matin, les écoutaient avec enchantement. Au cœur d’un enfer insoutenable, que même les grands textes sacrés ne sauraient décrire, résonnent ces questions :

« Puis-je encore aimer ? Puis-je être aimé ? »

L’amour d’une vie s’évanouit en un instant sous vos yeux, un père, une mère, un enfant, un ami de toujours, un animal chéri…

La disparition devient encore plus déchirante lorsqu’elle n’a pas de nom, lorsqu’elle fait face au silence glaçant d’un monde en perdition.

Alors, tout meurt. Sans le temps, ni même la possibilité, de faire le deuil de ceux qu’on a perdus. Celui ou celle que l’on aimait, qui, hier encore, nous souriait, se retrouve demain, ce visage familier et tendre, ensanglanté dans un vulgaire sac ; non loin d’un enfant réduit en poussière par une bombe d’une tonne, d’un adolescent brûlé vif, d’une mère et de son enfant morts de faim dans les bras l’un de l’autre, après avoir survécu à tant d’épreuves.

« Pourquoi j’existe ?
Pourquoi ne veut-on plus que j’existe ?
Pourquoi ma vie est une offense et ma mort un soulagement ? »

Ils ont méticuleusement dépossédé un peuple de son humanité et de sa dignité. Pourtant, l’Histoire nous avait montré de quoi le pouvoir de quelques hommes est capable : assujettir, sévir, anéantir tout ce qui s’oppose à leur doctrine. Le « peuple des ténèbres », disait-il. Plus de 200 000 âmes se sont envolées vers une lumière d’un autre temps, libérées des ignominies humaines et des affres de la guerre. Elles n’auront ni stèles commémoratives, ni images, ni vidéos. Aucune trace. Tout sera effacé, réduit en poussière, dans l’oubli.

Mais ceux qui osent encore faire preuve de compassion et qui refusent de détourner le regard, eux se souviendront des vies perdues, de celles qu’on aura voulu effacer par les mots, par l’asservissement et la manipulation des esprits, cherchant toujours à rationaliser un mal profond, comme ce fut le cas pendant les Grandes Guerres : toujours une raison juste pour éradiquer un peuple jusqu’à ce que l’apothéose de l’horreur frappe, hantant les nuits de ceux qui, au fond, avaient consenti à l’entreprise de la mort.

Je préfère mourir éclairé que laisser mon âme s’enténébrer, gangrénée par l’apathie ou cette haine véhémente, parfois insidieuse, qui consume tout sur son passage, tel un brasier s’engouffrant inexorablement dans des contrées qui, jadis, étaient pleines d’espoir.

« Là où les oiseaux étaient libres de chanter et de s’envoler, de la rivière jusqu’à la mer, se posant délicatement sur les arbres qui ont vu leurs prédécesseurs naître. Ils berçaient la forêt de leur mélodieuse symphonie, tandis que les arbres leur répondaient par un silencieux écho, un secret qui restera à jamais hors de notre portée.

Que tous les oiseaux naissent et demeurent libres jusqu’à la fin des temps. »

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