Avant-hier, je découvrais par le plus grand des hasards la seconde partie du documentaire historique (1969) : « Le Chagrin et la Pitié : Le Choix » de Marcel Ophüls (En hommage à lui suite à son récent décès en Mai).

J’ai été stupéfait par la qualité des archives saisissantes, les témoignages parfois glaçants de collaborateurs assumés, d’autres de repentis, de résistants, de juifs qui ont survécu, des allemands, des anglais…

« Moi, je suis un petit bourgeois, j’allais au lycée Pasteur, mais enfin, la question juive n’existait pas, nous n’étions pas des religieux, et quand j’ai appris que j’étais juif, par les autres, j’ai d’abord été extrêmement triste de me sentir rejeté de ma communauté nationale et de ce pays que j’aimais. Non pas parce que j’y étais né, mais parce que j’ai appris à l’aimer à travers son histoire, que je trouvais belle. Et j’ai commencé à m’intéresser aux juifs.

Et je crois que vouloir discuter sur les chiffres, c’est faire des comptes difficiles dans un domaine où c’est inadmissible. Le fait qu’un gouvernement français ait accepté de livrer des nationaux français, et même des ressortissants qu’il avait à protéger, reniant le droit d’asile traditionnel de la France, prouve que ce n’était pas un gouvernement digne de porter l’étiquette française, ni ce que nous aimons dans cette patrie.

La France a collaboré, c’est le seul pays d’Europe qui ait eu un gouvernement qui ait collaboré. D’autres ont signé des armistices ou capitulé en rase campagne. C’est le seul pays d’Europe qui ait collaboré, qui ait instauré des lois, qui, sur le plan raciste, est allé plus loin que les lois de Nuremberg, puisque les critères racistes français étaient encore plus exigeants que les critères racistes allemands.

Et ce n’est donc pas une très belle page. Alors, il est peut-être normal que dans les manuels scolaires, on nous présente que la page glorieuse, mais du point de vue historique, c’est certainement faux.

J’ai été arrêté parce que j’étais FTP à 17 ans (Francs-tireurs et partisans).

[…]

Je suis resté un an donc dans une prison française. J’ai vu fusiller dans la cour de prison sept de mes camarades de mon groupe, d’ailleurs, par des pelotons de gendarmes français. Et j’ai été livré aux SS avec tous mes compagnons de prison, le 2 juillet 1944, par l’administration pénitentiaire française, qui est la seule en Europe à avoir fait ce geste ignoble de livrer, pieds et poings liés, tous les détenus des prisons.

J’ai été déporté dans un train qu’on appelait le train de la mort, parce qu’il est resté deux mois sur les voies, attaqué et mitraillé par l’aviation anglaise, qui ne savait pas que c’étaient des déportés. J’ai pu m’en évader le 25 août 1944, et il est arrivé à Dachau le 27 août. Et c’est à ce moment-là que j’ai appris que mes parents, que je recherchais depuis quatre ans, avaient été déportés.

La France était couverte de camps de concentration : Gurs, Argelès, Rivesaltes, Fort-Barraux, Drancy… Il n’y avait d’ailleurs pas que des juifs. Il y avait des républicains espagnols, des francs-maçons, des gitans… Et tout ce monde était livré, par petits paquets, aux Allemands, au fur et à mesure des convois et des demandes. »

Claude Lévy

À la fin il s’exprime par rapport à la rafle du Vel d’Hiv, alors que le gouvernement français avait l’éloge des Allemands tant leur collaboration était minutieuse et anticipatoire , on apprend que les Allemands n’avaient pas prévu de déporter les enfants de moins de 16 ans, 4051 enfants… Mais Laval avait insisté pour que les enfants soient déportés, même après les multiples sollicitations, dont celle du pasteur Boegner qui a plaidé la cause des enfants.

Je vais maintenant faire une analogie avec le présent. Ce lundi 2 Juin, alors que je revenais du boulot à Nantes, j’allais retourner là où je loge, puis le bus s’est arrêté au milieu d’une manifestation, d’une chaîne humaine pacifique et solidaire. J’ai très vite compris que c’était en hommage au peuple palestinien, un soutien à notre petite échelle.

Alors sans réfléchir, je suis descendu du bus pour m’intégrer à la chaîne et défiler à Nantes pour la première fois. C’était une ambiance similaire à celle de Zürich, et ça s’est terminé par la lecture d’un magnifique poème, si bien lu, du poète Ziad Medoukh.

Je retenais mes larmes, celui qui a lu ce poème disait que la poésie, c’est résister.

Et voilà pourquoi j’écris aujourd’hui, pour faire écho à leur désarroi, pour leur dire que mon coeur est avec eux, même de loin.

Si nous nous enferrons dans le silence, demain, le sort des palestiniens, ce sera celui des arabes musulmans ou non, français ou non, en Europe. Comme le disait avec éloquence Annie Ernaux dans l’émission la Grande Librairie :

« L’imaginaire raciste à l’égard des Arabes qui est au coeur de l’acceptation du martyr de Gaza »

Le sort tragique des juifs lors des années les plus sombres de l’histoire humaine est intimement lié à celui des arabes aujourd’hui. Ce documentaire fait écho au paroxysme à l’horreur, qui a pu se construire et produire après des années de propagandes contre les juifs, prétendument coupables de tous les maux de la société, selon des chimères produites par ceux qui incarnent parfaitement la discorde.