« Mohammed Salama, Mariam Abou Daqa, Moaz Abou Taha et Hossam Al-Masri. Je ne sais pas comment écrire l’éloge funèbre de chacun d’eux, nous sommes épuisés par les annonces de décès et les condoléances. Nous ne pouvons que dire : Nous appartenons à Dieu et vers Lui nous retournons. » Wadih Abou Al-Saoud
J'écris en hommage à tous ces journalistes, dont Anas Al-Sharif qui a fait le choix de rester à Gaza alors qu’il pouvait partir avec sa famille, pour continuer à couvrir et dévoiler ces images terrifiantes qui ont un prix, celui d’être pourchassé pour que la terreur du génocide puisse se confondre dans le silence de l’oubli.
En hommage à tous ces artistes, ces poètes, ces écrivains, ces penseurs, ces travailleurs, qui ont été assassinés dans le bombardement du cafe El-Baqa, dernier bastion où l’on pouvait avoir internet et résister à sa manière.
Ils ont tous joué un rôle clé dans la prise de conscience mondiale. Nous sommes passés de l’appréhension à l’idée d’évoquer le génocide prémédité d’Israel (Cf leurs discours) et ses conséquences sur notre entourage, notre profession, à assumer notre position quoiqu’il advienne et renverser la honte vers ceux qui détournent le regard et justifient cette ignominie.
Notre regard a changé certes et ce n’est toujours pas suffisant, mais nous savons maintenant que la complicité qui a permis ces crimes, fait partie d’un système élaboré, lucratif et bien plus vaste qu’on ne le pense. Leur sacrifice nous donne un morceau de réponse, bien que l’on aimerait ne pas en arriver à entrevoir la vérité aux dépens de l’existence d’un peuple entier.
Un châtiment pire que la mort, Inimaginable cruauté, L’indignité en triomphe, L’avidité qui produit la mort, Vouloir plus, toujours plus, Quitte à vendre son âme au diable, Bien qu’il semblerait que certains hommes aient surpassé sa monstruosité légendaire, S’acharner sur un peuple, Les faire mourir de faim, Leur faire perdre espoir, Leur faire ressentir qu’ils sont abandonnés par le monde, Vouloir les faire résigner à l’oubli et au désespoir
Survivre dans l’humiliation,
Où ils sont obligés de filmer des instants intimes, comme la mort d’un être cher, pour que nous, occidentaux, puissions ou non bien vouloir les croire pour nous indigner, nous éveiller…
Et c’est alors qu’une petite fille au milieu de la désolation, innocente et survivante, qui cherchait seulement de l’eau, à disparu à tout jamais. Désintégrée soudainement par un bombardement, celui qui semble ne jamais avoir de coupables.
…Voici le visage de l’impunité. Je me demande ce que le tueur a éprouvé à ce moment là, est-ce qu’ils jubilent lorsqu’ils tuent ? Feront-ils des cauchemars jusqu’à la fin de leur misérable vie ? Est-ce que dans 20, 30 ou 40 ans ils seront pourchassés partout où ils iront comme les chasseurs des nazís qui ont voué leur existence pour les retrouver et reconstituer l’histoire pour que la justice triomphe ? Pour recoller les morceaux oubliés d’une mémoire qu’on a voulu subtiliser au monde…
Je me demande, comment un parent, un enfant, un ami ou un amour, parvient à survivre face à la mort systématique et prémédité de toutes les personnes qu’ils ont tant aimées, connues, avec lesquelles elles ont partagées tant de souvenirs…
Même les lieux qui les incarnent sont effacés, les paysages défigurés, les arbres déracinés, les animaux qui sublimaient ces moments fugaces, décimés à leur tour ; la mémoire d’une terre à l’histoire riche de plusieurs millénaires, qui a vu naître des mythes est supprimée… Comme on le ferait pour un dossier trop encombrant d’un ordinateur.
Mais après tout, comme c’est insupportable pour nous, dans notre havre de paix, de voir les horreurs qui se produisent à travers le monde, comme si cela nous tombait du ciel. Notre responsabilité est grande, et je crains que nous en subiront les conséquences plus tard.
C’est la continuité de l’histoire des impérialismes qui suscitent ou non l’émotion lorsqu’une petite fille est assassinée brutalement ; parce qu’en fonction de là où elle est née, sa mort aura un nom, une stèle commémorative, un deuil, un espace pour le vivre… Malheureusement les enfants palestinięns n’ont plus le droit d’être innocents, ils sont coupables avant même d’être conscients de la vastitude du monde, là où nous demeurons et où l’on scrute les mêmes astres.
Je regarde souvent Jupiter briller au loin, elle ne vacille jamais ; est-ce qu’un enfant là bas la regarde avec autant de fascination que moi ? Ils meurent successivement dans l’oubli, sans laisser aucune trace, aucune mémoire, aucune trace écrite… Est-ce trop cruel ou déprimant pour nous de voir la vérité en face, et ce que contribue à engendrer notre argent dans cette société de surconsommation qui finance maintenant guerres, génocides et ecocides ici et par delà nos frontières ?
C’est un peuple qui n’a plus le droit qu’on le pleure. ils n’ont plus de nom, de mémoire, de sentiments ; c’est l’entreprise de déshumanisation qui a accablé les juifs durant la Shoáh, je le dirai encore et encore parce que l’histoire est différente, mais les mécanismes sont les mêmes. Nous devrions tous être dehors, manifester pour eux, parce que ce qu’on permet à Nethanyahou de faire, ça outrepasse même l’ambition de conquérir la Palestine en la réduisant en cendres, c’est toute la région dont il est question.
Demain ce sera sûrement l’Égypte ou la Jordanie, comme hier ce fut le cas aussi pour l’Iran, le Liban, le Yémen, la Syrie, l’Irak… Et là, est-ce que les gens comprendront enfin la vérité ? Qu’à partir du moment où l’on s’arroge un droit divin sur autrui, cela se termine toujours mal.
Younis M.